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Pour une culture partagée
de l’intégrité scientifique

N° 9

À LA UNE

L’intégrité scientifique à l’honneur

En décernant, ce 5 décembre 2023, son prix « Appui à la recherche » à Ghislaine Filliatreau, l’Inserm met l’intégrité scientifique à l’honneur. Dans cet entretien, celle qui œuvre depuis 2016 à la délégation à l’intégrité scientifique de cet organisme, témoigne de l’évolution du paysage français de l’intégrité scientifique et partage sa vision des enjeux actuels.

VU D’AILLEURS

L’Office américain souhaite plus de transparence sur les conclusions des établissements

En octobre dernier, l’Office d’intégrité scientifique américain (ORI) a lancé une consultation publique sur son projet de mise à jour des règles qui encadrent la prise en charge des manquements à l’intégrité scientifique (Notice of Proposed Rulemaking). Ce sont les premières révisions depuis 2005, explique Sheila Garrity, directrice de l’ORI dans une vidéo qui présente la démarche.

Les changements notables portent sur la clarification des définitions – les notions d’« erreur honnête » ou de « bonne foi » sont par exemple précisées –, l’explication des procédures de traitement des allégations, les mesures administratives imposées et la procédure d’appel.

L’une des évolutions proposées suscite déjà le débat. L’ORI souhaite plus de transparence sur les conclusions d’enquêtes des institutions : les partisans y voient une étape importante pour mieux corriger la science et renforcer la confiance du public tandis que les défenseurs de la confidentialité craignent, eux, que l’anonymat ne soit plus respecté. (lire l’article de Science)

La consultation a été prolongée jusqu’au 4 janvier 2024 et les nouvelles règles sont attendues pour l’été prochain.

Les 3 premières années du nouveau modèle suédois

Comme la France, la Suède a fait entrer l’intégrité scientifique dans la loi en 2020 mais avec une approche assez différente. Les Suédois ont choisi d’adopter une définition qui porte sur les manquements à l’intégrité scientifique et qui se limite aux manquements les plus graves (fabrication, falsification, plagiat). La nouvelle loi a aussi créé une agence nationale, le National Board for Assessment of Research Misconduct (Npof), à qui revient l’instruction des allégations de ces manquements les plus graves. Les allégations portant sur toute autre pratique questionnable continuent d’être traitées par les établissements qui emploient les personnes mises en cause.

Lors de la conférence ENRIO 2023, Karin Nylén, directrice du bureau du Npof, en a expliqué le fonctionnement. Sur la quarantaine de cas traités par an, ces trois premières années, seuls 18 se sont révélés être des fraudes caractérisées. Elle a aussi mentionné une particularité du système suédois : la possibilité de faire appel des décisions du Npof, auprès d’une cour indépendante, avec trois niveaux de juridiction possibles.

EN CHIFFRES

 10 000

Selon une enquête de Nature, le nombre de rétractations a dépassé les 10 000 en 2023. Un record largement dû aux 8 000 rétractations de publications Hindawi, filiale de la maison d’édition Wiley. Wiley, qui a acquis cette plateforme de revues en accès ouvert en 2021, avait déjà arrêté certains journaux et interrompu la publication de numéro spéciaux (lire l’entretien avec Ivan Oransky).

L’éditeur a annoncé ce 6 décembre qu’il cesserait d’utiliser le nom de marque Hindawi et réintègrerait quelque 200 titres sous sa propre marque. (lire aussi l’article de Retraction Watch  et la présentation de Wiley).

Plus globalement, l’enquête montre que « le taux annuel de rétractation a triplé au cours de la dernière décennie pour dépasser 0,2 % en 2022 ». Elle a aussi déterminé quels étaient les pays au plus fort taux de rétractation. Arrivent en tête de son classement, dans l’ordre, l’Arabie saoudite, le Pakistan, la Russie et la Chine. L’Arabie saoudite atteignant un taux de 0,3 %.

EN GRAPHE

Les Paper Mills par discipline

Comment estimer la part des Paper Mills dans les publications scientifiques ? Une étude relayée par Nature tente d’évaluer l’ampleur du phénomène à l’aide de l’outil de détection « Papermill Alarm ». L’auteur, qui est le développeur de l’outil, estime que globalement 1,5 à 2 % des articles publiés en 2022 présentent des caractéristiques similaires à ceux fabriqués par ces usines. L’analyse d’un jeu plus restreint de données -2,85 millions d’articles- répertoriés avec leur discipline dans la base OpenAlex – permet d’identifier les domaines les plus touchés. Comme nous l’avions déjà souligné (« Un détecteur de Paper Millpour le éditeurs »), pour rester efficace cet outil ne peut pas être ouvert. Les résultats ne peuvent donc pas être reproduits, mais semblent refléter la réalité selon les commentateurs interrogés par Nature.

AVIS

L’Académie des sciences appelle à une révision du score SIGAPS 

Dans un avis publié le 15 novembre, le comité Évaluation et science ouverte de l’Académie des sciences s’inquiète de l’utilisation actuelle du score SIGAPS pour le financement et l’évaluation de la recherche biomédicale. Il émet plusieurs recommandations dont le renoncement à son utilisation pour le recrutement et la promotion des individus et la révision de la méthode d’évaluation de la production scientifique globale. Et en appelle à une réflexion collective de toutes les parties prenantes.

INITIATIVES

Mobilisation de co-auteurs pour corriger la science

En juin 2023, l’affaire a ébranlé la communauté des sciences comportementales aux Etats-Unis. Après 18 mois d’enquête, l’université de Harvard a mis en congé sans solde Francesca Gino, professeure très en vue à la Harvard Business School et demandé la rétractation de quatre de ses articles pour falsification de données. Une mesure très rare. Francesca Gino a nié et intenté un procès contre son employeur et Datacolada, blog à l’origine de l’enquête, leur réclamant 25 millions de dollars.

Face aux doutes jetés sur l’ensemble des publications co-signées par la chercheuse, un groupe de ses co-auteurs a lancé une initiative inédite, « Many Co-authors Project« . Une plateforme en ligne conçue pour collecter et partager des informations sur la provenance et la disponibilité des données utilisées dans ces articles. Ils y ont invité plus de 140 co-auteurs à participer, y compris Francesca Gino, de manière à réévaluer collectivement les travaux qu’ils espèrent être en mesure de reproduire. Si des données ne se révèlent pas fiables, les co-auteurs pourront demander la rétractation et dans le cas contraire défendre le travail publié.

Le collectif considère cette initiative nécessaire pour corriger la science et rétablir la confiance, mais aussi cruciale pour protéger les collaborateurs, en particulier les étudiants jeunes diplômés et les professeurs en début de carrière qui, sans être impliqués dans de mauvaises pratiques, sont associés malgré eux aux travaux présumés frauduleux.

Forum sur les affiliations dans les publications

Parmi les effets pervers des systèmes d’évaluation et de classement des établissements de recherche fondés sur des critères quantitatifs de publications, une nouvelle pratique s’est répandue : elle consiste, pour un auteur, à gonfler le nombre d’affiliations déclarées dans ses publications.

Partant du constat qu’il existe peu de conseils ou de normes sur la définition des affiliations « méritantes » ou sur le nombre d’affiliations par auteur dans une publication et que « les affiliations multiples non méritées peuvent être considérées comme une mauvaise pratique de recherche susceptibles d’affecter différentes parties prenantes ainsi que l’intégrité des documents publiés », le Comité COPE (Committee on Publication Ethics) organise un forum pour engager les discussions sur ces questions « d’autorat institutionnel ».

RESSOURCES PRATIQUES

Des affiches pour parler bonnes pratiques

Le portail de l’organisation pour une recherche Inserm éthique et responsable (Lorier), dont le rôle est de faciliter la co-construction et de partager des outils et ressources pour ancrer les meilleures pratiques met à disposition une série d’affiches : elles ont vocation à encourager la discussion autour de situations fréquemment rencontrées au laboratoire et proposent conseils, ressources et contacts. Conçues pour l’univers de la recherche biomédicale, elles peuvent être utilisées par d’autres disciplines ou les inspirer pour en concevoir de nouvelles sur des thèmes plus proches de leurs pratiques de recherche.

À lire aussi

Journaux victimes de cybercriminalité

Le bulletin de veille de l’Ofis d’octobre en avait fait état : les journaux clonés ou détournés, qui prennent le nom et les métadonnées d’un journal existant, se multiplient. C’est une nouvelle forme de cybercriminalité. Voici le témoignage d’un rédacteur en chef d’une revue scientifique, the Scandinavian Journal of Information Systems, qui raconte comment ce journal a été détourné et comment les cybercriminels vont jusqu’à infiltrer les bases de données d’indexation des journaux. Et pour en savoir plus, un article récent fait le point sur ce nouveau phénomène appelé indexjacking. Il souligne notamment le fait que Scopus est la base de données la plus infiltrée, avec comme conséquence préoccupante que d’autres bases de données peuvent importées systématiquement ces informations erronées, ORCID par exemple.

L’IA plus performante pour détecter la duplication d’images ?

Pour répondre à cette question, David Sholto, expert en détection de duplication d’images dans des articles de biologie, a comparé ses propres performances à celles d’un logiciel sur les articles d’un journal en accès libre, Toxicology Reports. Sur les 1540 articles publiés entre 2014 et juillet 2023, 715 contenaient des images à analyser. Il y a d’abord lui-même identifié 63 articles suspects. Puis, il a passé ces 715 articles au crible d’ImageTwin.ai, logiciel utilisé par de nombreuses universités et capable, explique-t-il, « de repérer des zones de similarité dans une image, entre des images d’un même article, et de les comparer à une base de figures provenant d’articles en accès libre ». Résultat, l’outil a été 2 à 3 fois plus rapide pour détecter 59 des 63 articles suspects – et en a repéré 41 de plus. Preuve pour l’auteur de l’intérêt de ce type d’outil. Il reste aux utilisateurs à déterminer si la duplication est problématique ou non. Lire le preprint.

Du côté de l’Ofis

Espace thématique

Intégrité scientifique, déontologie, éthique de la recherche : quelles différences ? L’Ofis propose un espace thématique dédié à cette question, qui explicite comment, en France, ces trois champs d’action se distinguent par des acteurs institutionnels et des textes législatifs et règlementaires différents. Il aborde aussi des objets communs à ces champs d’action, comme les conflits d’intérêt  à la fois du ressort de la déontologie et de l’intégrité scientifique.  Avec une affiche à télécharger.

Veille scientifique

 Tous les bulletins sont à retrouver dans l’espace dédié « Veille scientifique ».

Les bulletins d’octobre et de novembre 2023 sont en ligne :

En tête des sujets de ces deux mois,  les revues clonées ou détournées difficiles à identifier, de nouvelles formes d’imposture dans les enquêtes réalisées en ligne, les biais de publication et p-hacking dans les études empiriques en psychologie, les tendances en matière de recherche sur les manquements, un historique de l’intégrité scientifique en France.

NOMINATIONS

Les nouveaux référents et nouvelles référentes à l’intégrité scientifique nommées en France

Octobre 2023 : Danièle Fournier, INSA de Toulouse.

Novembre 2023 : Céline Béguin, Le Mans Université; Céline Laronde-Clérac, La Rochelle Université.

AGENDA

11 janvier 2024, 15h  

Fake science : panorama des méconduites et contre-feux pour déjouer les pièges

Ce séminaire de Guillaume Cabanac, professeur d’informatique à l’Université Toulouse III – Paul Sabatier et  titulaire de la chaire « dépollution de la littérature scientifique » de l’Institut universitaire de France vise à faire connaitre de nouveaux types de méconduites qui portent préjudice à la science  et à proposer des actions concrètes à mettre en œuvre pour éviter ces pièges.

9 février 2024 

Universities in Europe: integrity in a time of change

La conférence annuelle 2024 de l’European university association (EUA) aura pour thème  l’intégrité : que signifie-t-elle pour les universités européennes aujourd’hui ? Quelles sont leurs capacités à faire face aux  transformations de la société tout en demeurant fidèles à leurs valeurs et à leurs missions fondamentales ? Elle se tiendra à l’Université de Swansea, au Royaume-Uni les 11 et 12 avril 2024. Vous avez jusqu’au 9 février pour répondre à l’appel à contribution.

21 février 2024, 10h  

Social media and ethics 

Comment garantir une utilisation responsable et respectueuse quand on conduit des recherches à partir de données collectées sur les médias sociaux ? Consentement éclairé, anonymat, confidentialité, propriété des données, utilisation de l’IA, sujet sensible, ne sont que quelques-unes des questions qui exigent le respect de lignes directrices que ce webinaire organisé par l’office britannique de l’intégrité scientifique, UKRIO, propose d’explorer. 

Contact

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Hélène Le Meur,  Responsable de l’infolettre