Apparu au début des années 2000, avec le passage au numérique de la publication scientifique et le mouvement des revues en accès libre, le phénomène des revues prédatrices ne cesse de progresser. Il nuit à la crédibilité de la production scientifique et contrevient aux bonnes pratiques en matière de communication et de diffusion des connaissances.
Les revues prédatrices miment les canons de la publication scientifique légitime mais elles ne les respectent pas. Elles n’offrent par exemple pas ou peu d’évaluation par les pairs, pas d’archivage, ne sont pas indexées ou présentent de faux numéros d’indexation, de faux comités éditoriaux. Elles n’hésitent pas à usurper les identités de chercheurs ou d’institutions, à utiliser des noms proches de ceux de revues existantes à leur associer des adjectifs du type « international », « global » visant à renforcer l’importance ou le prestige de la revue etc.
Il s’agit donc bien d’une entreprise opportuniste tournée vers l’unique profit financier qui mise sur le besoin des chercheurs de publier leurs résultats rapidement et massivement, besoin nourri en grande partie par une évaluation des chercheurs ayant longtemps fait une part trop belle aux indicateurs seulement quantitatifs. En 2022, quelque vingt ans après son émergence, le phénomène a pris une telle dimension qu’il inquiète de nombreux acteurs, y compris en dehors du monde académique, et est devenu un objet de recherche en soi.
Si certains auteurs peuvent se faire piéger de bonne foi, d’autres semblent néanmoins plus complaisants à l’égard ce type d’éditeurs. Or, avoir recours à leurs services contrevient pourtant aux bonnes pratiques d’intégrité scientifique. En effet, publier dans ces revues revient à :
- nuire à sa réputation personnelle, à celle de son laboratoire et de son institution, plus largement à la crédibilité et la fiabilité de la production scientifique.
- s’associer aux mauvaises conduites de la revue en question.
- accepter de produire un article de faible qualité, non évalué par ses pairs, ou mal évalué.
- jouer le jeu d’une stratégie de publication massive, pour embellir un CV.
- ternir l’image du mouvement de publication en libre accès.
- dévoyer les fonds alloués à la recherche.
La vigilance de tous les acteurs et l’acquisition de quelques réflexes peut participer à ne pas faire le jeu de ces éditeurs peu soucieux de l’intégrité scientifique. Cet espace thématique recense différents types de ressources et outils, pour sensibiliser, alerter, aider à repérer ces revues et fournir des pistes de réflexion.
- Les revues prédatrices tirent leur profit du modèle auteur-payeur : pour un certain coût, elles garantissent à un auteur la publication ouverte en ligne de son article (Article Processing Charges -APC). Elles prônent donc le libre accès, tout en ternissant l’image de ce mouvement.
- Il n’existe pas de parade parfaite pour éviter les éditeurs prédateurs. Parmi les premières initiatives développées, les listes de revues dans lesquelles publier, ou ne pas publier, se sont rapidement révélées assez problématiques. Elles sont très difficiles à établir et finalement assez vaines. Pour certains auteurs, elles font même le jeu des revues prédatrices qui arrivent à y figurer et, in fine, banalisent le problème (La prédation dans le champ de la publication scientifique : un objet de recherche révélateur des mutations de la communication scientifique ouverte).
- La ligne de démarcation entre revue légitime et illégitime est de moins en moins aisée à dessiner. Que la revue appartienne à un éditeur qui adhère au COPE (Committee on Publication Ethics), qu’elle soit indexée par le Web of Science ou figure au registre qui recense les revues en accès libre du Directory of Open Access Journals (DOAJ) ne suffit pas à garantir sa qualité. Les revues prédatrices sont parvenues à entrer dans ces listes.
- Le terme même de revue « prédatrice » fait aujourd’hui débat. On parle aussi de revue douteuse, illégitime, de faible qualité, non digne de confiance, etc. Une définition a été proposée en 2019, c’est la plus consensuelle à ce jour. Mais elle reste encore très discutée, d’autant que le phénomène évolue vite. Les entreprises prédatrices se sont notamment beaucoup professionnalisées : leur site web, leurs services sont construits exactement sur les codes des revues légitimes. Et certaines publient également de la science de bonne qualité, ce qui contribue à brouiller les pistes ( infolettre N3 « Alerte sur les éditeurs douteux »)
Chiffres, éléments clés
1 million
de chercheuses et chercheurs seraient impactées dans le monde par des pratiques prédatrices de publication, selon l’estimation publiée dans “Combatting predatory academic journals and conferences” en mars 2022.
15 500
Selon la société privée Cabells, le nombre de revues prédatrices s’élevait à plus de 15 500 en 2022 (Cabells predatory reports, 2022). Il s’agit plus ici de donner un ordre de grandeur, tant ces revues sont difficiles à identifier. Néanmoins, la progression est impressionnante : estimées à 1800 en 2010, elles auraient atteint 8 000 en 2015 et quasiment doublé depuis toujours, selon Cabells.
Qu'est-ce qu'une revue prédatrice ?
En 2019, face à la montée en puissance des revues prédatrices, 43 acteurs du monde académique se sont réunis pour s’accorder sur une définition commune, publiée ensuite dans la revue Nature . C’est la plus consensuelle à ce jour.
Définition
« Les revues et les éditeurs prédateurs sont des entités qui privilégient l’intérêt personnel au détriment du savoir et se caractérisent par des informations fausses ou trompeuses, un écart par rapport aux bonnes pratiques éditoriales et de publication, un manque de transparence et/ou le recours à des pratiques de sollicitation agressives et sans discernement. »
Limites
Dans cet article, les auteurs pointent l’une des limites des listes qui tentent de référencer les revues légitimes ou illégitimes : la comparaison de plusieurs d’entre elles montre que des revues considérées comme légitimes par les unes peuvent être classées comme prédatrices par les autres, et vice et versa. Ainsi, le croisement des listes Cabells, DOAJ et Beall a révélé 72 revues relevant des deux statuts.
Comment reconnaitre une revue prédatrice ?
Plus que les listes de bonnes ou de mauvaises revues, ce sont certaines caractéristiques récurrentes qui servent d’indicateurs pour évaluer le risque que présente une revue. Différents travaux de recherche se sont attachés à définir ses caractéristiques (Cobey et al. 2018) et des outils ont été développés pour aider à les repérer. Une seule caractéristique ne suffit évidemment pas à déterminer si une revue est prédatrice ou non.
Le rapport « Lutter contre les revues et conférences académiques prédatrices » propose une synthèse des indicateurs typiques sous la forme d’un tableau qui décrit un spectre de comportements des revues, allant de celles présentant le risque le plus élevé à gauche, aux revues de qualité à droite. Pour aider les utilisateurs à naviguer dans la complexité de ce continuum, les indicateurs sont classés en 3 grandes catégories.
Indicateurs typiques du spectre des comportements prédateurs
Risque élevé
(Frauduleux, trompeur)
- Examen par les pairs inexistant ou inapproprié et présentation erronée du processus de sélection des articles
- Mimétisme d’autres revues ou sites Web
- Faux comité de rédaction, ou aucun
- Facteur d’impact alternatif ou factice
- Mensonges sur l’indexation ou les membres des maisons d’édition
- Dissimulation des coûts de publication
- Opérations potentiellement illégales
Quand un journal devient-il trompeur ? Lorsqu’il ment sur son véritable but ou induit en erreur les auteurs ou les lecteurs sur son statut, les coûts impliqués ou les services fournis.
Risque intermédiaire
(Faible qualité)
- Examen par les pairs de piètre qualité
- Violations des bonnes pratiques éditoriales
- Services aux auteurs et aux universitaires manquants ou insuffisants
- Recours à des pratiques de sollicitations agressives et aveugles
- Incertitudes au sujet des frais de publication
- Manque d’archivage satisfaisant
- Comité de rédaction inactif
Quand un journal doit-il être considéré comme de piètre qualité ? Plus il y a d’indicateurs cochés, plus la qualité est faible
Risque faible
(Qualité douteuse, qualité)
- Examen par les pairs complet
- Solides comités de rédaction
- Système robuste pour assurer l’intégrité de la recherche et les rétractations
- Transparence sur les coûts de publication
- Quelques pratiques abusives, mais des mesures appropriées sont prises en cas de critiques
D’après « Lutter contre les revues et conférences académiques prédatrices« , 2022 (figure 1, p. 8)
Quelques documents de référence
Lutter contre les revues et conférences académiques prédatrices.
Publié en mars 2022, à l’issue d’un travail d’investigation de 2 ans mené pour identifier les moyens pratiques et efficaces de lutter contre la progression des revues prédatrices, ce rapport dresse un état des lieux, parmi les plus documentés sur la question. Il émane d’un réseau mondial InterAcademyPartnership, regroupant plus de 140 académies de sciences, d’ingénierie et de médecine.
Il montre que la démarcation entre revue légitime et prédatrice est de plus en plus difficile à établir, les pratiques douteuses ayant infiltré les pratiques légitimes. Il aborde dès lors le phénomène comme « un vaste ensemble de comportements prédateurs, allant des pratiques véritablement frauduleuses et trompeuses, aux pratiques douteuses et contraires à l’éthique, avec des degrés divers » (« Indicateurs typiques du spectre des comportements prédateurs »).
Il précise que ces pratiques peuvent être adoptées par des éditeurs nouveaux ou établis, frauduleux ou réputés, traditionnels ou en libre accès, n’importe où dans le monde. Il fait aussi un inventaire des outils pratiques, utiles à l’échelle individuelle, en soulignant le manque de mesures globales qui viseraient les causes systémiques des comportements prédateurs.
À noter : Pour combattre le phénomène en passe de s’installer durablement, les auteurs associent à chacune de leurs huit grandes conclusions des préconisations et précisent les acteurs que ces préconisations ciblent.
Éviter les revues et éditeurs prédateurs
Synthétique et très bien documentée la fiche réalisée par la Délégation à l’information scientifique et technique (DIST) du CIRAD, sur le site Coop-ist décrit l’ensemble des enjeux liés aux revues prédatrices. Elle recense les outils et la littérature sur le sujet. Elle pointe sur des liens utiles, publications, et documents essentiels.
La DIST produit également des rapports en lien avec ce sujet, comme celui Intitulé « Mdpi, produire en masse les articles avec un délai soumis-accepté de quatre semaines » dont l’Ofis s’est fait l’écho dans son infolettre.
Predatory publishing
Du coté des éditeurs, le comité pour la publication éthique COPE (Committee on Publication Ethics) qui rassemble depuis des acteurs commerciaux et académiques du monde de l’édition scientifique autour de la promotion d’une culture d’éthique et de bonnes pratiques en matière de publication, s’est aussi saisi de la question.
Il présente des suggestions pour aborder, éviter et sensibiliser le public au problème des revues prédatrices. Il propose aussi d’adapter les 16 principes de transparence de son guide de bonnes pratiques en matière de publication académique en points de vigilance pour détecter les journaux frauduleux.
Outils et ressources
La diffusion des connaissances à l’ère numérique : du libre accès aux revues prédatrices.
La conférence de Vincent Larivière, professeur de bibliothéconomie et des sciences de l’information Université de Montréal, donnée le 20 mars 2018, replace le phénomène dans une histoire longue de 350 ans de diffusion des connaissances scientifiques. Vincent Larivière décrit l’évolution et le rôle des revues et des sociétés savantes et comment avec le virage numérique, la publication scientifique s’est retrouvée aux mains de quelques grands éditeurs commerciaux. Dans ce contexte, il explique l’émergence des revues prédatrices et leur progression.
Publier et périr : comment éviter les revues prédatrices ?
Un webinaire instructif organisé par les services des bibliothèques de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), le 7 décembre par 2020. Le trio d’intervenants aborde de manière très pratique différents angles du problème et conseillent des outils selon les besoins de l’utilisateur. Ils présentent par exemple, Compass to publish, comme l’un des meilleurs outils, tout en précisant qu’il prend du temps et qu’ un outil plus simple comme Think.Check.Submit peut être suffisant pour commencer sa recherche.
Pour détecter et éviter les pratiques prédatrices
Les outils et ressources conçus pour détecter et éviter les pratiques prédatrices sont nombreux et divers. Bon nombre de ces ressources sont gratuites et gérées par des établissements ou des réseaux d’établissements, des chercheurs et des communautés bénévoles. Parmi les plus utilisés :
Think.Check.Submit : rapide, facile à utiliser, il aide en trois étapes et à partir d’une courte série de questions à évaluer une revue. Il existe en plus de 40 langues. Sa déclinaison pour les conférences prédatrices : Think.Check.Attend
Compass to publish : créé en 2020 à l’Université de Liège, ce test mesure, à partir des réponses fournies à 26 questions, le degré de fiabilité des revues en accès libre qui exigent des frais de publication. Le questionnaire prend environ un quart d’heure et la précision du diagnostic dépend du nombre de réponses fournies. Décliné en français et en anglais, le site propose des ressources pédagogiques sur les revues prédatrices, une courte bibliographie sur le sujet, indique d’autres outils d’aide à l’identification, et détaille la méthodologie pour calculer le degré d’authenticité des revues en accès libre.
OHRI’s One-Stop-Shop of resources : la page du Center for journalogy dédiée aux revues prédatrices.
D’autres ressources sont des services payants par abonnement
(ex. : Cabell’s Predatory Reports)
Pour sensibiliser
La prédation dans le champ scientifique : que sait-on du phénomène des revues prédatrices ?
Une vidéo réalisée par Charlotte Morissonneau, Axelle Plomb, Lucas Pergola et Arthur Roullin, étudiants du master information médiation scientifique et technique (IMST) de l’université Lyon 1, sous la direction de Chérifa Boukacem-Zeghmouri, Professeure à l’Université Lyon 1, et Violaine Rebouillat, enseignante du master. Avec les interventions d’Hervé Maisonneuve, médecin de santé publique et rédacteur scientifique, et de Vincent Larivière, professeur à l’Université de Montréal.
10 règles à avoir en tête
Publié en 2021 par des bibliothécaires de l’Université de Floride, l’article « Ten simple rules for avoiding predatory publishing scams » indique 10 conseils simples à suivre pour éviter les revues prédatrices :
- Se méfier des sollicitations
- Evaluer le contenu de la revue
- Vérifier les frais de publication
- Examiner les règles d’évaluation par les pairs de la revue
- Reconnaitre les garde-fous : identifier le rédacteur en chef et les membres du comité de rédaction et vérifier si leur expertise correspond au périmètre de la revue
- Vérifier si la revue est indexée dans des bases de données réputées
- Vérifier les métriques (impact facteur, par exemple) déclarées
- Identifier la maison d’édition
- Ne pas s’appuyer seulement sur des listes de revues prédatrices (Beall, Cabells)
- Ne pas préjuger d’une revue sans l’avoir évaluée à l’aune des précédents critères
Autres ressources web sur le sujet :
Les principes de bonne pratiques éditoriales établis par les associations d’éditeurs
Espace publié le 20 décembre 2022